B.A 141 La Senia Juillet 63

    
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       En 1963 la Senia ou Es Senia en Arabe était encore séparée d'Oran par la campagne, aujourd'hui le village est dans la  banlieue de la  ville. Un jour de Juin 63 je fus convoqué ainsi que d'autres porteurs de lunettes à l'hôpital militaire Baudens à Oran, nous partîmes en ambulance : un 1000kgs Renault aménagé pour l'usage . Le passage à niveau situé près de la base franchi nous entrâmes dans le village. La Senia était alors une modeste agglomération, dont le nom vient de jardin potager , j'écrivis ceci: " La Senia est un petit bled arabe avec des bourricots, des carrioles et des Fatmas, passé le village la route est bordée de palmiers, derrière il y a de petites bicoques entourées de jardins , les hommes sont en habit traditionnel, toujours coiffés du petit couvre-chef arabe ils vont juchés sur des  bourricots ou des carrioles légères aux panneaux sculptés attelées à de petits chevaux marchant au fouet : image typique de cartes postales. Rapidement nous entrâmes dans la ville avec ses immeubles modernes, peu d'Européens dans les rues, on nous fit faire un petit tour en passant devant la Mairie avec ses lions et le théatre puis ce furent les vieux quartiers , la Casbah, la Calère : au passage nous fûmes caillassés par des gamins ( apparemment on ne nous aimait pas). A l'hôpital, du cabinet de l'ophtalmo j'avais une vue splendide sur la pêcherie , le vieux port et aussi les fleurs et les palmiers là tout près, le panorama était inoubliable pour mes yeux de jeune Normand ne connaissant qu'une mer plus souvent grise que réellement bleue, de l'auscultation je n'ai rien retenu que ce superbe panorama avec ses vieux quartiers cette mer d'un bleu intense et Santa-Cruz presque à portée de main .

      Bouteille Je revins plusieurs fois dans la ville de Camus par la suite mais toujours accompagné d'un ou plusieurs compagnons par sécurité nous disait-on et juste dans les artères principales pour faire les courses nécessaires à nos festins dans la piaule, en dehors de l'ordinaire, où par ailleurs nous n'étions pas mal nourris ( je découvris bien pire et bien moindre à In Amguel et là-bas impossible d'améliorer l'ordinaire) . Mes compagnons de piaule étaient affectés pour plusieurs à l'ordinaire d'autres au mess où au foyer du soldat ils amenaient les beefs et autres grillades et surtout la boisson, le rouge épais de l'Atlas qui teintait nos quarts, on y avait droit le dimanche midi après en avoir bu ta part le soleil brûlant d'Afrique du Nord te plombait la nuque, tu traversais la place dans un rêve, tu te réveillais dans ton lit  deux à trois heures plus tard heureux d'avoir tué le temps en dormant . Notre boisson quotidienne c'était la B.A.O : bière de la brasserie Algérienne d'Oran en bouteille d'un litre . Certains refusaient d'en boire non pas par convictions religieuses mais parce qu'au moment des événements, un an auparavant, des cadavres auraient aussi fermentés dans le moult : bof ! les cuves avaient été  nettoyées depuis, sans doute, mon voisin de lit, travaillant à l'ordinaire, en glissait une à deux bouteilles sous son lit le soir , au matin elles étaient vides : brave B.A.O elle avait  les vertus des somnifères, elle nous aidait aussi à lutter contre l'ennui et l'éloignement . Comme de mon bureau de la sécurité sociale militaire où j'avais été affecté je ne pouvais rien ramener d'utile à nos festin avec un grand costaud des Charentes je crois nous étions chargés d'aller à Oran chercher ce qu'il manquait , nous fréquentions ainsi que d'autres militaires une modeste épicerie tenue par une femme européenne à la cinquantaine alerte et décidée elle nous parlait de ses malheurs, de ses griefs surtout, envers la France et De Gaulle, elle s'obstinait à rester malgré un voisinage qu'elle disait hostile, ne craignant pas d'être égorgée dans son magasin disait-elle,le camenbert exigé par les copains ne fut qu'un carré de l'Est, importation impossible nous répondit-elle, il est vrai que nous ne trouvions plus un certain nombre de produits, une fois les militaires Français partis qu'est-elle devenue, sans clients ou presque, sans doute partie vers l'inconnu elle aussi : la France. Un jour notre collègue du foyer disparut de la chambre pour la prison, apparemment l'argent des courses que nous faisions n'était pas que celui de ses pourboires aie! aie! aie! dommage pour lui et pour nous, plus de gueuletons. 

    La plage c'était les Corallés près de Aîn-el-Turck : du sable fin et un bleu et une limpidité qui m'étaient inconnus la vision sus l'eau était superbe , un jour que nous attendions le bus avec un ami une jeep de la police militaire s'arréta près de nous, dieu sait pourquoi nous nous attendions au pire, mais sympas les deux policiers nous proposèrent seulement de nous emmener à la gare routière d'Oran ce qui fit notre bonheur . Nous étions venus dans  l'antique 203 Peugeot d'un Algérien qui nous avait pris en stop , l'aiguille du compteur indiquait perpétuellement zéro,  nous étions trois avec un biffin et avions partagé les frais, après moult discutions à cause des kilomètres qui n'avaient pas variés .  

     En Octobre 1963  le ton  des radios algériennes monta d'un cran, on n'entendit plus que des appels à la guerre contre le voisin marocain, celui-ci ayant occupé militairement une région contestée du côté de Tindouf et Colomb-Béchar . Cette guerre  fut appelée "guerre des sables", elle était en réalité une guerre du fer, la région en possédant d'importants gisements ; elle dura environ un mois, l'Organisation de l'unité Africaine ayant imposé son arbitrage, le roi du Maroc retira son armée . La guerre ouverte se transforma en guerre froide qui dure encore . Je me souviens des camions Russes Zil flambant neufs allant vers la frontière pas si lointaine, chargés de soldats de l'ALN poussant des cris de haine à l'égard des Marocains ; je me souviens aussi de ce père Algérien venant un jour où j'étais de garde à l'entrée chercher son fils qui travaillait sur la base et était mobilisé  , il déplorait l'attitude du Maroc et était fort remontait contre celui-ci , nous fîmes semblant d'être désolé pour son fils, tout en étant fort satisfait de voir les deux complices d'il n'y a pas si longtemps s'entre-déchirer .  image-57.jpg                                                                                                                              

    Ce qui cassait la monotonie de ma petite vie de secrétaire de la sécurité sociale militaire où j'officiais le plus souvent seul,  c'était les tours de garde . Pour la garde nous étions convoqués à 18 heures, au bureau de la semaine qui se trouvait au rez-de-chaussée de notre bâtiment,  à droite après l'entrée de la base . Nous nous présentions en tenue de sortie avec les guêtres, le ceinturon, le casque léger, la musette, la gamelle, les couverts pour la bouffe; là on récupérait le PM ( pistolet-mitrailleur ) et les chargeurs plombés depuis un accident. On nous répartissait  en plusieurs équipes entre l'entrée de la base, l'escale , à Oran où logeaient les officiers et aussi et surtout à la soute à munitions où je débarquais souvent, d'autres étant plus favorisés .

     La soute à munitions se trouvait en un endroit appelé Bikini sans doute pour l'image: si tout avait sauté le feu d'artifice aurait été gigantesque comme sur l'atoll du même nom .  L'endroit se situait à 3 kms de tous lieux habités, au bord des prés salés entourant la  Sebkra d'Oran, le champ de tir  ainsi que l'extrémité  des pistes de l'aéroport civil d'Oran d'où l'on voyait s'envoler pour Paris les fines Caravelles dans un coup de rein final majestueux, étaient proches. La base se trouvait  à environ 5kms de ce lieu sinistre et maudit par tous les bidasses appelés à y monter la garde . La proximité de la Sekhra, lieu marécageux en faisait le paradis de millions d'insectes volants forts agressifs pour l'homme . La Sebka d'Oran c'est un grand lac salé sans doute piégé là depuis la nuit des temps séparé de la mer par le massif de la Merdjadjo dont il se trouve à 12 kms    la ville d'Oran elle, se trouve à 15 kms ,il est alimenté en eau par le ruissellement des eaux de la montagne  qui forme une couche de 10 à 30 cms au-dessus de la couche de sel.L'eau s'évapore en été laissant apparente une immense couche de sel d'une blancheur intense sous le soleil, la surface de l'ensemble est très importante environ 298 km² ce qui fait 30 kms de long par 10 de large les abords de la couche de sel ne portent aucune végétation et sont craquelés l'eau peut contenir jusquà 100g de sel par litre. Plus loin se trouvent les prés salés à la végétation halophile dont sont friands les moutons, les flamants roses et d'autres espèces migratrices les parcourent le jour , c'est aussi le royaume des chacals la nuit ; les arbres sont absents de tout cet espace, pas un seul ne s'aperçoit à des kilomètres à la ronde .

Sebkha d    C'est en ce lieu, idyllique en somme, que se trouvait la soute à munitions, immense et sinistre, à demi enterrée au bout de nulle part . Chaque baraquement contenait encore ou non ? les bombes et autres objets de mort balancés des avions Français pendant la guerre d'Algérie. Ces bâtiments étaient couverts en tôle et ceints de hautes levées de terre,sans doute pour empêcher l'explosion éventuelle de l'un d'eux de se propager aux autres ; cela avait l'aspect d'un sinistre camp de concentration, avec sa haute clôture et ses miradors . Près du grand portail sur la droite le poste de garde : une grande Fillod demie-cylindrique en tôle; à l'intérieur 6 lits, très sales, sans draps,   les housses de matelas n'étaient pas souvent changées, nous dormions quand cela était possible, habillés et bottés, interdiction de se dévêtir, l'intérieur de la baraque était tapissé d'une toile de jute crasseuse et déchirée qui pendait lamentablement par endroits , les fenêtres n'avaient plus de vitres, à l'entrée le poste de radio émetteur- recepteur graisillait par moment quand des messages arrivaient; tout près de lui les gros téléphones portatifs  et de puissantes lampes torches.

    La bouffe arrivait quand elle pouvait, portée par des 4x4 ou 6x4, avec les cahots le tout était un peu mélangé, refroidi l'hiver ou largement échauffé l'été, pouah! les véhicules se pointant au portail avaient droit aux sommations d'usage, sauf la bouffe, de peur qu'ils ne fassent demi-tour . Nous étions perpétuellement en alerte, cette soute personne ne l'aimait, des Algériens avaient soit-disant foncés sur la clôture, une nuit pour voler des munitions, depuis, le mirador de Bougie, tout au bout, à au moins 15 minutes à pied était gardé , les alertes étaient fréquentes, une nuit un maître-chien maladroitement s'emmêla les pinceaux dans les broussailles et lâcha une rafale, je tombais littéralement du lit et bondis vers la sortie sur les pas du sergent, une autre fois un capitaine en mal de sensations suivit longuement la clôture la nuit avec un 4x4 mettant  en émoi toute notre équipe

   La relève du mirador de Bougie était l'occasion pour le sergent de faire une ronde à travers les rues desservant les abris à munitions, j'y eu droit: à notre approche dans le noir, une fuite précipitée et un bruit de boite de conserve bousculée , je glissai un chargeur dans le PM, le sergent sorti son pistolet et éclaira les environs, aucune silhouette ne se dessina dans le faisceau <<sans doute des rats, conclut-il >> ; moment d'intense émotion et de sueur froide . Là- haut tout seul dans ton mirador tu épiais la nuit pendant 4 heures  en face vers la Sebkra . Les ténèbres c'était aussi les longues plaintes des chacals, pathétiques et sinistres, qui vous donnaient froid dans le dos les premières fois mais aussi la longue attente, la montre mille fois consultées puis enfin la lampe de la relève et les sommations d'usage . Le meilleur moment, sublime, éblouissant, c'était l'arrivée de l'aube, imperceptiblement une grande clarté  naissait derrière la montagne, loin en face  à l'est, vécue avec un ami dans un mirador cette naissance de la journèe   est un de mes meilleurs souvenirs, lentement la vie autour de nous s'éveillait, tout me paraissait plus rapide et plus bruyant que sous nos latitudes, les oiseaux reprenaient leur vol mais aussi malheureusement pour nous les moustiques qui pullulaient, le soleil apparaissait au-dessus des crêtes et montait rapidement sur l'horizon éveillant brutalement la natureimg-0336.jpg, les effluves méditerranéennes et la faune sauvage. Sur la droite vers Messerghin mon ami, qui n'était pas myope, vit bien avant moi, très loin, le berger qui poussait ses moutons sur les prés salés comme chaque matin. Cela reste un merveilleux souvenir, comparé à la laideur des lieux dans lesquels nous nous trouvions. La garde durait 24 heures nous revenions de Bikini en ayant peu ou pas dormi, crasseux et couverts de piqûres de moustiques .

  La garde était aussi montée à l'entrée de la base ci- contre  et ci-dessus  à la barrière d'entrée en plus du poste de garde se trouvait la prison dans le bâtiment à gauche  sur la photo, c'était un endroit miteux . Dans le bâtiment il y avait d'abord le poste avec le bureau de la semaine et le poste de garde puis, derrière une porte verrouillée, une cour au toit vitré d' épaisses dalles translucides, tout autour de cette cour interne de petites cellules solidement verrouillées avec juste un judas grillagé et une fenêtre à barreaux sur un côté un bas-flanc bétonné et une couverture; il y avait là des multirécidivistes perdus pour l'armée et quelques malchanceux ;le tout sentait le rance dans une demie  obscurité lugubre , les rats y étaient nombreux comme sur toute la base . De garde la nuit à l'entrée je fus intrigué par l'agitation qui régnait dans les palmiers de l'allée centrale leur frondaison se mouvait sans un souffle de vent, de petits cris perçants en sortaient, une pluie de noyaux tombait sur le sol . La nuit une multitude de rats  sortait des égouts ou venait de très loin après avoir fait les poubelles de l'ordinaire et des mess. Tout ces rongeurs venaient prendre leur dessert de dattes à peine mures, l'assemblée était bruyante et se chamaillait; dès que l'aube pointait le silence se faisait, les rats avaient regagné leurs pénates en sous-sol ou dans les égouts.

  Tôt le matin arrivaient les pilotes et les équipages, certains n'appréciaient pas vraiment les contrôles , je connaissais d'ailleurs la plupart pour les avoir rencontrés dans mon bureau à la sécurité sociale , le temps de jeter un  oeil dans le véhicule et la barrière était levée . La garde se montait aussi à l'escale, là un jour en plein après-midi sous un chaud soleil, je fus intrigué par les soubresauts d'une Estafette Renault dont la cabine était pourtant inoccupée, en avisant le sergent chef de poste je m'entendis répondre << oh! ça c'est l'adjudant-chef qui se tape la femme de ménage Arabe>>. Une survivance du colonialisme sans doute, qui pourtant faisait ses valises, car nous déménagions ,Img 0345 jour et nuit une noria de camions filait vers le port où vers Bou-Sfer la nouvelle base installée sur les hauteurs, derrière Mers-El-Kébir .

    La base déménageait ça sentait la fin d'un monde, je voyais défiler dans mon bureau des dizaines d'officiers et sous-officiers qui repartaient en France, les veinards , chaque jour apportait son lot de nouvelles, vraies ou fausses, bonnes ou mauvaises. Le 3 Décembre 1963 mon adjudant se pointa le matin en me disant qu'un message était arrivé au  CBA disant qu'à partir du premier Janvier 64 la base 141 deviendrait "organe liquidateur de la BA 141 le "juteux" concluant qu'en Mars tout le monde serait parti . En l'entendant je rêvais déjà de la France mais, tout se passa autrement, y compris pour lui qui fut rapatrié sanitaire avant l'heure. (à suivre)

 

 

 

 

 

 

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